Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Europe géopolitique - Page 6

  • De la Démocratie à l'aveuglement

    Je ne sais pas si je dois me réjouir ou pleurer sur cette France qui impose par des lois des faits historiques patents et authentifiés ? Certes, quand la France soutient l’Arménie, je m’en réjouis ; cela nécessite un vrai courage politique au regard des oppositions internationales. Je soutiendrai toujours haut et fort tout acte dénonçant les crimes contre l’humanité. Mais, faut-il avoir à ce point oublié la réalité historique et géopolitique du XXe siècle pour qu’à présent au pays de la liberté d’expression on ne sache plus faire respecter les vérités que par la loi !

    Que les Arméniens de France se félicitent aujourd’hui de la position de notre Assemblée Nationale sur le Génocide arménien, je le comprends ; cela fait 40 ans qu’on leur ment sur l’engagement réel des politiques face à la Turquie qui a massacré plus de 50% de la population arménienne au début du XXe siècle. Mais, la France a-t-elle besoin de se donner bonne conscience en promulguant une loi inutile visant seulement à faire respecter une vérité historique déjà validée par un acte officiel ? Alors, je me demande dans quel piège nous enfonçons-nous ?

    Avons-nous oublié les témoignages de diplomates occidentaux de l’époque (cf Internet), sur les massacres subits par les arméniens, ainsi que l’acquittement par la justice allemande de Weimar de l’Arménien qui a tué en 1921 à Berlin TALAAT PACHA (un des ministres turcs commanditaires du génocide arménien); preuve évidente que ce génocide est très tôt connu même en Occident ! Ajoutons que la France a accueilli les premiers réfugiés arméniens vers 1920, qu’ils ont bénéficié, en reconnaissance de leur malheur du statut de « réfugié Nansen » dès 1935 ; en 1939 le Haut Commissariat sous l’égide de la SDN remplace l’Office Nansen. L’ONU a reconnu le génocide arménien comme tel en 1985 et certains pays, comme la France en 2001, ont officiellement fait acte de reconnaissance rappelant que la définition onusienne de « génocide » datant de 1948 s’applique clairement aux arméniens.  

    Pourtant, à cause de la guerre froide, les Américains et les Européens, s’allient à la Turquie kémaliste, promettant l’Eldorado européen aux Turcs « occidentalisés ». La Turquie entre dans l’OTAN en 1952 puis siège au Conseil de l’Europe ! Depuis avant chaque élection, les politiques français rejouent la même comédie burlesque aux Arméniens en affirmant leur soutien à la reconnaissance du Génocide pour ensuite (après les élections) se rapprocher des Turcs. Je rappelle à tous que si cette année est « l’année de l’Arménie », l’année prochaine sera celle de la Turquie …Que fera t-on alors ? S’agit-il d’une sinistre comédie ou d’un mensonge d’Etat envers la Turquie , les Arméniens et tous les citoyens européens! Comble de l’ironie ; personne ne sait si le Sénat aura le temps ratifier ce texte avant les élections ! Aujourd’hui 12 Octobre 2006, les media ont déjà soulevé ce hic ! Je ne mets pas en doute la réelle bonne foi de certains politiciens mais je constate un jeu diplomatique stérile.

    Depuis plus de 90 ans Arméniens et autres chrétiens d’Orient étouffent de rage et d’impuissance face à la persistance de la question turque mais je voudrais crier sur les toits que le peuple turc n’est pas responsable de l’ignorance dans laquelle le pouvoir politique tente de le maintenir, que chaque pays a son histoire, ses misères et que chaque peuple a le droit d’être nationaliste ou patriote. Seule la négation grave et tragique de l’évidence est honteuse!

    Je précise que je suis 100% arménienne et née en France. Dès l’enfance j’ai écouté régulièrement les anciens évoquer les massacres atroces auxquels ils avaient échappé de justesse et le goulag stalinien que ma famille paternelle avait connu en 1936. Très tôt, je me suis intéressée à l’histoire et sans être un grand expert, certains constats restent à la portée de  tous.

    Aujourd’hui la Turquie n’est plus celle des années 60 ; malgré la moderne Istanbul, le pays est gangrené par un islam intégriste qui laisse songeur et gagne du terrain. L’Europe n’a pu résoudre deux conflits larvés avec la Turquie  ; la question des frontières maritimes de la Grèce et la partition de Chypre. La reconnaissance du génocide n’est pas non plus, officiellement, un préalable à l’entrée de la Turquie en Europe (?)

    Et que dire de l’expression d’une Europe construite avec les démocraties modernes sous prétexte que le droit de vote y est acquis ! Même, des états islamistes n’ont pas commis l’erreur de ne pas instituer récemment des élections dites libres. La définition de «démocratie moderne» ne peut plus se contenter de ce genre de raccourcis !

    L’émigré arménien et ses fils comme la plupart des émigrés de l’Est, ont grandi dans l’amour de la France  ; cette France engagée, humaniste et moteur de l’Europe. Cet émigré facilement polyglotte, souvent viscéralement européen car il y nourrit sa pensé chrétienne, appartient à une vaste diaspora américano-européenne. S’il vit en France par fierté ou par choix ses yeux sont naturellement tournés vers le reste du monde ;  les politiques seraient bien inspirés de ne pas le prendre pour un aimable imbécile, aveugle ou sourd, au prétexte qu’il est d’un naturel courtois ! Tout arménien sait que le débat sur la Turquie en Europe dépasse la stricte reconnaissance du Génocide mais ne peut dissocier les deux thèmes.

    Chaque pas vers la reconnaissance mondiale du génocide est vital, dans cette lutte le rôle de la France a été essentiel mais beaucoup d’arméniens ne peuvent laisser dévoyer les conditions de cette reconnaissance car ils sont aussi citoyens d’un pays libre. Jamais une loi ne fera l’histoire, c’est un exemple antidémocratique, une insulte à la liberté de pensée que bien des dictateurs seront contents de nous renvoyer à la figure, le gouvernement turc en premier !

    La France serait-elle tombée si bas qu’elle ne soit plus apte à réveiller sa conscience nationale pour le respect naturel des peuples, des cultures et de l’histoire ! Si tel est le cas alors la France des libertés est morte et l’Europe ne sert à rien ! Continuons, alors, à légiférer sur les interdits moraux jusqu’à l’abrutissement total des esprits et accueillons glorieusement notre prochain Hitler à l’Elysée !

    Je ne peux me résoudre à un tel gâchis et j’espère que la pensée de nos décideurs n’est pas complètement tombée dans l’inconsistance. J’attends un discours clair en harmonie avec les valeurs dans lesquelles j’ai été élevée. La réalité du monde est trop alarmante pour que l’on continue les violons consolateurs à tout va. Qui va mobiliser les média sur le sens réel de l’Europe de demain qui comme toute inconnue fait de plus en plus peur ? Quelle place allons-nous donner à la Turquie , que nous ne pouvons ni abandonner ni accepter en l’état ? Qui va redonner à la France le courage de sortir de son épais brouillard intellectuel, culturel et politique ?

    Moi, je ne veux plus parler de frontières européennes mais d’éthique ! Quelle Europe bâtir si les fondations sont vides de sens ? Quel politique aura le courage et les moyens de dire à la Turquie que son comportement est en contradiction avec les attentes européennes, qu’en l’état actuel des choses 10 ans ne lui suffiront pas à revoir son histoire. Des personnalités courageuses en Turquie essayent parfois au péril de leur vie de faire émerger des vérités mais ici, pour les soutenir, nous optons pour la couardise politique et maintenant la censure nette !

    Faut-il rappeler que si à force de pression la Turquie finit par reconnaître le génocide arménien, peut-être devra-t-elle rendre au moins un versant du Mont ARARAT. Que devra-t-on lui donner en échange ? L’Europe se prépare-t-elle à de vraies négociations, devra-t-elle vendre son âme ? A moins que l’on demande l’inacceptable aux arméniens, par exemple, céder le KARABAGH aux azéris en échange de matières premières ; en Europe aucun politique ne s’est alarmé du boycott énergétique que l’on fait subir à l’Arménie…Voilà de quoi réveiller une guerre au Sud Caucase. Notons que les Kurdes de Turquie, installés sur les anciens territoires arméniens depuis le génocide arménien, sont prêts à se battre pour leur indépendance… Avis donc aux amateurs de catastrophes humanitaires et écologiques ! Non, la question arméno-turque n’est pas une question bilatérale car elle soulève l’ensemble des questions qui relève de l’orientation géostratégique futur des pays membres de l’UE. Quel homme politique aura le courage et le bon sens d’anticiper ce qui pourrait devenir un autre KOSOVO afin de protéger l’intégrité et l’honneur de l’Europe et de la France  ?

    La France si fière de son passé va-t-elle continuer sa déconstruction en promulguant des lois qui n’aboutissent nulle part ! Si aux prochaines élections, les politiques souhaitent motiver les électeurs et lutter contre l’abstentionnisme, il faudra convaincre le peuple que l’Etat s’occupera enfin, avec bon sens et détermination, de son domaine régalien et que nos parlementaires sortiront d’une tendance nouvelle et perverse qui tient plus de l’ordre moral que du courage politique! A ce jour, je ne sais plus si Fernand Raynaud et Coluche auraient encore le droit de nous faire rire de la même façon. Et, si les politiques souhaitent que les français se réconcilient avec l’idée d’une Europe politique, il leur faudra taire la langue de bois au profit d’un discours palpable! Sous prétexte de paix et du devoir de mémoire ne tombons pas dans le piège de la négociation molle et démagogique ; elle fait le lit des rancoeurs. Ne transigeons plus sur les valeurs qui sont notre identité et notre oxygène!

    Catherine Mouradian